Le rejet de l'autre comme mauvais ciment communautaire
La liberté humaine est pensée par Sartre comme un continuel arrachement. Elle est la possibilité même de toujours se révéler « Autre », de dépasser, transformer, les conditions qui prétendent me dicter ma conduite. Cette expérience de l'arrachement est terrifiante, elle semble enfermer l'homme dans une solitude irrémédiable: comment compter sur les autres? Comment avoir confiance en les autres si chacun décide à chaque instant de ce qu'il est, de ce qu'il veut? Les hommes préfèrent oublier cette liberté essentielle et se reposer sur des évidences plus stabilisantes ; c'est la force des idéologies que de leur en fournir. Et tout groupement humain sécrète à terme une idéologie qui soude les membres du groupe. L’exclusion des autres sert de faire-valoir à la communauté des semblables. Mais comment cette discrimination procède-t-elle entre « les autres » et « nous » ?
Le "Narcissisme de la petite différence"
Un groupe ne s’identifie comme groupe que par l'exclusion d'individus désignés par une petite différence qui fait sens pour la communauté qui les exclut. C’est ce que Freud appelle le "Narcissisme de la petite différence" dans Malaise dans la culture. Certes, il y a une forme de mauvaise foi à réduire la considération des autres à ce point de différence. Il y a en effet maints aspects par lesquels les individus posés comme « autres » par cette communauté sont semblables à ceux qui les excluent. Mais la volonté d'exclusion procède par aveuglement. Comme l'avait déjà dit Rousseau dans l ’Essai sur l’origine des langes " la passion fascine les yeux " : les autres sont donc tous ceux qu'une politique (une idéologie) pointe du doigt pour mieux rassembler une communauté de semblables - alors qu’à regarder de près, ces prétendus semblables revêtent, eux aussi, bien des différences…Par l’exclusion, la communauté peut satisfaire sur des étrangers des pulsions agressives refoulées par le devoir de bienveillance envers les semblables.
« S’il est dur de haïr seul, à plusieurs cela devient un plaisir... » souligne ironiquement Koltès
Voir aussi notre résumé de la célèbre
analyse du "bouc emissaire" par Réné Girard.
L'antisémitisme comme revanche sociale perverse
Nous présentons ici quelques grandes analyses de Sartre dans Réflexions sur la questions juive (1946) tout en sachant que ce texte a été critiqué (par Georges Bataille et Hannah Arendt, entre autres) parce que Sartre n'y thématise pas l'horreur d'un génocide bureaucratisé c'est-à-dire perpétré par des gens ordinaires, soucieux d'accomplir leur tâche avec zèle : l'horreur d'un "crime routinier" qui dénie à la victime son statut d'homme et donc de victime... Mais le texte de Sartre a toutefois le mérite de très bien expliquer les mécanismes de l'antisémitisme et, au delà, de toutes formes de xénophobie.
La phrase « je hais les juifs » n'est pas de celles qu’on prononce seul. Il faut se sentir soutenu par une communauté de haine. Dans cette communauté, le lien social est la colère. A la faveur de cette colère, la personne se fond dans le groupe indifférencié des semblables (ceux qui partagent pareillement cette haine des autres).