Le bouc émissaire 
Détail d'une mosaïque de la Chapelle Palatine à Palerme en Sicile. Le mythe raconte que Yahvé pour tester la dévotion d'Abraham lui ordonne le sacrifice de son fils unique... Obéissant Abraham se rend sur le lieu du Sacrifice : mais le récit précise qu' un ange intervient pour arrêter son geste et un bélier, empêtré dans un buisson voisin, sera sacrifié à la place de l'enfant.
Dans La Violence et le Sacré, René Girard montre comment le sacrifice d'un animal permet d'apaiser symboliquement les pulsions agressives, par ce subterfuge (l'animal est substitué à la "cible" humain), les membres de la communauté sont préservés...
Dans les litanies religieuses, le sacrifice est destiné soit à tester le dévouement des croyants soit à calmer la colère de(s) dieu(x). Or le
sacrifice est une affaire humaine, René Girard à l'intelligence de l’interprèter en des termes purement humains : au delà des sermons, dans la logique libidinale des pulsions, le sacrifice apaise les pulsions agressives des hommes. 

 Dans La violence et le sacré (1972) René Girard revient sur les rites sacrificiels et notamment les sacrifices humains et se demande ce qui a pu frapper assez les hommes pour qu’ils tuent leur semblable,  non pas dans un geste brutal et  irréfléchi, mais dans une poussée de vie consciente créatrice de formes culturelles  et qui se transmet de génération en génération sous forme de rite codé.

Ce qui menace le plus dangereusement  toute société, c’est la violence réciproque (le cercle des violences privées qui engendrent vengeances et contre-vengeances). Le rite sacrificiel serait la répétition  d’un premier lynchage spontané qui a ramené l’ordre  au sein d’une communauté.  Dans ce lynchage, la violence de tous contre tous se résout dans la violence de tous contre un. Autour de la victime sacrifiée se reforme  l’unanimité de la collectivité apaisée par cet exutoire. Se produit ainsi une solidarité dans le crime.

Le rite sacrificiel est donc une violence ponctuelle et légale dont la fonction est d’opérer une catharsis des pulsions agressives sur une victime somme toute indifférente à la communauté parce que marginale.

René Girard précise les conditions sociales qui "prédisposent" un individu à servir de bouc émissaire à la vindicte populaire.
Ce peut être :

R. Girard rappelle qu’Athènes entretenait elle-même quelques malheureux qu‘elle pouvait sacrifier quand les tensions sociales renaissaient par exemple lors d’une calamité collective (épidémie, famine, invasion). C’est la pratique du "Pharmakos" à la fois  poison et  remède.

Dans la tradition du Lévitique, le bouc émissaire est promené à travers toute la communauté. Il est censé condenser sur lui toutes les tares et  toutes les souillures. Son sacrifice expulsera le mal hors de la communauté. Dans la litanie du rite, le sacrifice du bouc émissaire  est destiné à calmer la colère des dieux, en réalité  il apaise les pulsions agressives des hommes.  René Girard considère le sacrifice comme une affaire humaine et l’interprète en des termes purement humains. Cela le conduit à une totale réinterprétation de l’histoire d’Œdipe.

Œdipe est un cas parmi d’autres de bouc émissaire. « Une idole fracassée »: l’étranger libérateur de Thèbes  subit un revirement d’affect de la part de son peuple lorsque la peste s’abat sur la ville. Il est victime d’une mystification galopante : des rumeurs courent sur son compte ( le parricide,  l’inceste) mais ce ne sont que des fabulations, des prétextes pour exposer le roi à la vindicte populaire.

  NB Pour Réné Girard, chaque fois que nous rappelons le mythe, nous devenons les complices d’un lynchage collectif...

René Girard établit un parallèle entre Job et Œdipe, tous deux victimes du même type de mystification collective mais c’est pour admirer dans le personnage de Job l’homme qui reste  fidèle à sa vérité de victime et détraque la mythologie officielle qui cherche à le culpabiliser.  Œdipe, lui,  se soumet au verdict idiot de la foule et transforme ainsi  le délire de persécution en vérité consensuelle. C’est l’occasion pour René Girard de revenir  sur les pratiques policières et particulièrement sur toutes les manœuvres pour obtenir des aveux spontanés : l’adhésion de l’accusé au processus qui l‘élimine remplace la preuve de sa culpabilité.

Réné Girad souligne que cette volonté de produire des  victimes consentantes caractérise autant les systèmes totalitaires modernes que des procédures judiciaires des inquisiteurs  de l’âge classique.