Portrait du Bouffon, Johann Heinrich Füssli (1741-1825)

Exemple de rédaction d’un développement

Remarque préalable : ne pas douter de l'existence des autres

Remarquons d'abord que pour se demander " Qui sont les autres? " il  faut ne pas douter de leur existence. Cette question ne peut surgir que pour une conscience pour laquelle il y a des autres, une conscience prise dans un réseau d'intersubjectivités même si les autres sont d'emblée frappés d'indétermination.

  Si le bon sens a toujours refusé  la mise en doute systématique de l'existence des autres (et donc l'hypothèse du solipsisme  mise en place par Descartes au début des  Méditations métaphysiques), la sagesse des nations comme la réflexion philosophique et psychologique, s’accorde  à souligner les mystères  que  réserve l’altérité. La pensée, les sentiments, l’intériorité des autres nous échappent. Nous sommes chacun un mystère pour les autres et nous ne pouvons que l’être.

 En effet si autrui m’était donné tel qu'il est présent à lui-même, il y aurait fusion de son ego et du mien ; sa conscience et la mienne ne feraient plus qu'une ; l’altérité disparaîtrait. Je ne peux, par principe, accéder, de l'intérieur, à une autre conscience sinon elle ne ferait qu'une avec ma propre conscience.

Connaître/comprendre : la critique des tendances réductrices de la connaissance

Est-ce à dire que les autres échappent irrémédiablement à toute connaissance ? Pour Lévinas, oui ! Et il faut se méfier de la connaissance.  Elle procède toujours par réduction de la différence, par assimilation de l'inconnu au connu." L’instinct de connaissance procède de l'instinct d'appropriation et de conquête " disait Nietzsche. La connaissance ne peut que louper l'autre en tant qu'il est à jamais Autre, absolument autre,(ce que nous enseigne l'expérience du visage dans son dénuement ; voir à ce propos notre analyse de Ethique et infini).

La connaissance ne nous fournit que des caricatures grossières, des simplifications. Elle nous met face à des cas, des types sociologiques ou pathologiques:
l’étudiant, le syndicaliste, le délinquant, le terroriste, le névrosé etc.

La marmite des Jacobins

Mais dire que l’autre n'est pas  connaissable comme une chose peut être définissable ( et qu'il faut donc se méfier des procédures d'examen qui  le réduisent au statut de cobaye) ce n'est pas dire qu'il est inaccessible et que nous ne pouvons rien comprendre de lui.

La compréhension par analogie (Husserl, / Malebranche)

L'autre est compris par analogie, à partir de moi-même et de ma façon de vivre, de me comporter ;  c'est la thèse de Husserl, qui reprend globalement celle par laquelle Descartes sortait du solipsisme, même si pour Husserl la compréhension de l'autre ne passe pas,  contrairement à ce que pense Descartes, par un raisonnement .

Pour Husserl, je perçois autrui par son corps (c'est ainsi qu’il m’apparaît). Le corps d'autrui est aussitôt compris selon l'expérience que j'ai de mon propre corps, selon le sens que prennent mes propres comportements. Le corps de l'autre paraît habité par une conscience parce que, le percevant, l’ego transpose son existence d’ego incarné dans l'autre. Ainsi, pour reprendre un exemple de Merleau-Ponty  le geste de celui qui se protége du soleil est d’emblée vécu au niveau de mon corps comme une réponse  à un éblouissement.

 

 La femme à barbe, José de Ribera (1591-1652) Tolède, musée.

Pour le cartésien Malebranche, cette inférence passe par une comparaison qui est un véritable travail intellectuel : la connaissance d’autrui est un produit du jugement. Pour Husserl, l’appréhension de l'autre est immédiate : l'analogie est spontanée et ne suppose pas la médiation d'un raisonnement abstrait. Il y a ce qu’il appelle un accouplement originaire, une formation en paire, ( ce qui se manifeste par le fait que l'enfant, très jeune, comprend les expressions humaines). Les autres se manifestent et se définissent par leurs comportements et leurs actes.

La vérité d’autrui est dans ses actes

La phénoménologie se distingue de la psychologie classique en ce qu’elle conteste qu'il faille chercher derrière les actes et les comportements " une âme ", un for intérieur ", une psychologie cachée. L'autre n’est que ce qu'il manifeste au monde. Le reste n’est rien de déterminer, et ne peut être allégué que par mauvaise foi. (comme le font tous ceux qui répètent qu’ils n'ont pas eu  « la chance de révéler leur vraie nature… » et  qu’ils valaient mieux que ce qu’ils vivent.
 Sartre en Hamlet, dessin de Robert Lapalme.
Sartre dans  L’existentialisme est un humanisme  et plus encore dans  L’Etre et le néant  souligne  que la vérité des autres n’est  pas à chercher dans un for intérieur caché ; elle s'exprime dans leur façon d'organiser le monde d'autour d’eux :

 Je découvre ce que sont « les autres » à leur façon de mettre en forme le monde. Et la peur comme la colère d'autrui se lise à même le monde. Elles ne sont rien hormis cette suite de gestes,  d'attitudes, de distances, par lesquels je comprends, par exemple, que l'autre a peur. Je saisis la vérité de l'autre dans son comportement. (Très belle description de la peur du soldat dans  L’Etre et le néant  de Sartre.(1943)  NRF ; 1980 ; p. 342

Bien sûr je peux me tromper sur les intentions d'autrui et prendre une colère ou une panique simulée pour une colère réelle :c'est que j'organise le monde d'autrui autour de ses gestes autrement qu'il ne s'organise de fait et c'est seulement d'autres gestes qui me détromperont.

Les conséquences politiques : valorisation des communautés d’engagement
   

Parce qu'on ne connaît la vérité d'autrui que par ses actes, il faut privilégier les communautés d'engagement à celles qui prétendent  se sceller sur des appartenances culturelles immémoriales. C'est ce que montre l'exemple de l'Alsace -Lorraine en 1870, phénomène analysé par Finkielkraut dans  La sagesse de l'amour  pour illustrer le bien fondé de la conception contractualiste de la Nation.

A la question « Qui sont les nôtres ? » 

On peut répondre de façon diamétralement différente selon que l’on soutient :
  une conception « naturaliste » de la Nation (Barrès) :
    Selon laquelle ce ne sont pas les hommes qui décident de faire société mais c’est la société qui fait les hommes. Appartiennent à la même nation ceux qui sont nés et ont grandi dans la même culture.  
 

ou une conception contractualiste ( Sieyès) :

    «  Un corps d’associés vivants sous des lois communes et représentés par la même législature ». Appartiennent à une même Nation tous ceux qui se sont engagés à respecter les même lois quelle que soit leur culture d’origine.

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