Remarque préalable : ne pas douter de l'existence des autres
Remarquons d'abord que pour se demander " Qui sont les autres? " il faut ne pas douter de leur existence. Cette question ne peut surgir que pour une conscience pour laquelle il y a des autres, une conscience prise dans un réseau d'intersubjectivités même si les autres sont d'emblée frappés d'indétermination.
Si le bon sens a toujours refusé la mise en doute systématique de l'existence des autres (et donc l'hypothèse du solipsisme mise en place par Descartes au début des Méditations métaphysiques), la sagesse des nations comme la réflexion philosophique et psychologique, s’accorde à souligner les mystères que réserve l’altérité. La pensée, les sentiments, l’intériorité des autres nous échappent. Nous sommes chacun un mystère pour les autres et nous ne pouvons que l’être.
En effet si autrui m’était donné tel qu'il est présent à lui-même, il y aurait fusion de son ego et du mien ; sa conscience et la mienne ne feraient plus qu'une ; l’altérité disparaîtrait. Je ne peux, par principe, accéder, de l'intérieur, à une autre conscience sinon elle ne ferait qu'une avec ma propre conscience.
Connaître/comprendre : la critique des tendances réductrices de la connaissance
Est-ce à dire que les autres échappent irrémédiablement à toute connaissance ? Pour Lévinas, oui ! Et il faut se méfier de la connaissance. Elle procède toujours par réduction de la différence, par assimilation de l'inconnu au connu." L’instinct de connaissance procède de l'instinct d'appropriation et de conquête " disait Nietzsche. La connaissance ne peut que louper l'autre en tant qu'il est à jamais Autre, absolument autre,(ce que nous enseigne l'expérience du visage dans son dénuement ; voir à ce propos notre analyse de Ethique et infini).
Mais dire que l’autre n'est pas connaissable comme une chose peut être définissable ( et qu'il faut donc se méfier des procédures d'examen qui le réduisent au statut de cobaye) ce n'est pas dire qu'il est inaccessible et que nous ne pouvons rien comprendre de lui.
La compréhension par analogie (Husserl, / Malebranche)
Pour le cartésien Malebranche, cette inférence passe par une comparaison qui est un véritable travail intellectuel : la connaissance d’autrui est un produit du jugement. Pour Husserl, l’appréhension de l'autre est immédiate : l'analogie est spontanée et ne suppose pas la médiation d'un raisonnement abstrait. Il y a ce qu’il appelle un accouplement originaire, une formation en paire, ( ce qui se manifeste par le fait que l'enfant, très jeune, comprend les expressions humaines). Les autres se manifestent et se définissent par leurs comportements et leurs actes. La vérité d’autrui est dans ses actes
La phénoménologie se distingue de la psychologie classique
en ce qu’elle conteste qu'il faille chercher derrière les actes et les
comportements " une âme ", un for intérieur ", une psychologie
cachée. L'autre n’est que ce qu'il manifeste au monde. Le reste n’est
rien de déterminer, et ne peut être allégué que par mauvaise foi. (comme
le font tous ceux qui répètent qu’ils n'ont pas eu « la chance
de révéler leur vraie nature… » et qu’ils valaient mieux que ce
qu’ils vivent.
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Sartre dans L’existentialisme est un
humanisme et plus encore dans L’Etre et le néant
souligne que la vérité des autres n’est pas à chercher dans un for
intérieur caché ; elle s'exprime dans leur façon d'organiser le
monde d'autour d’eux :
Je découvre ce que sont « les autres » à leur façon de mettre en forme le monde. Et la peur comme la colère d'autrui se lise à même le monde. Elles ne sont rien hormis cette suite de gestes, d'attitudes, de distances, par lesquels je comprends, par exemple, que l'autre a peur. Je saisis la vérité de l'autre dans son comportement. (Très belle description de la peur du soldat dans L’Etre et le néant de Sartre.(1943) NRF ; 1980 ; p. 342
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Les conséquences politiques : valorisation
des communautés d’engagement
A la question « Qui sont les nôtres ? »
On peut répondre de façon diamétralement différente selon que l’on soutient : | ||
une conception « naturaliste » de la Nation (Barrès) : | ||
Selon laquelle ce ne sont pas les hommes qui décident de faire société mais c’est la société qui fait les hommes. Appartiennent à la même nation ceux qui sont nés et ont grandi dans la même culture. | ||
ou une conception contractualiste ( Sieyès) : |
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« Un corps d’associés vivants sous des lois communes et représentés par la même législature ». Appartiennent à une même Nation tous ceux qui se sont engagés à respecter les même lois quelle que soit leur culture d’origine. |