Le mythe du vampire : " Pour l'homme moderne, les
vampires ne sont pas effrayants parce qu'ils existent mais parce qu'ils
concrétisent ses craintes et ses désirs les plus secrets
" Jean Marigny, |
La logique de la représentation :
" De masticatione
mortuorum " |
Les premières rumeurs
A partir du XIème siècle se répandent des rumeurs sur des
défunts dont le corps est retrouvé intact dans leur tombe, mais
maculé de sang. Les esprits s'alarment, certains témoins prétendent
avoir entendu des morts mâcher dans leur tombe. Luther en personne a été
informé de ce fait. A partir de 1552, en Prusse et en Silésie,
on prend l'habitude de mettre une pierre dans la bouche des morts pour les empêcher
de mâcher.
Il faut dire que lors des épidémies de nombreux comateux ont
été inhumés vivants. Se réveillant dans leur tombe,
on comprend qu'ils hurlent d'angoisse et se déchirent les chairs.
Des légendes venues de l'Est |
Au Moyen Âge des manifestations de morts vivants avaient été attestées dans presque toute l'Europe occidentale. Au XVIème siècle, de tels phénomènes se sont fait de plus en plus rares à l'Ouest de l'Europe tandis qu'ils se sont brusquement amplifiés à l'Est. Comment expliquer cette disparité ?
Les pays de L'Est de l'Europe sont pauvres et difficiles d'accès. Les grandes découvertes de la Renaissance et de l'âge classique ont du mal à se diffuser. De plus, alors que la chasse aux sorcières fait rage en Europe de L'Ouest, les Eglises byzantines ont une attitude beaucoup plus souple à l'égard des superstitions Or la croyance selon laquelle les morts peuvent être préservés de toute corruption cadavérique et sortir de leur tombe est très ancienne. On la retouve par exemple dans la tradition celtique lors des fêtes de Samain, qui sont à l'origine d'Halloween (Cliquez ici pour en savoir plus !) En Grèce, on donne à ces non-morts le nom de " Broucolaques " ( vrykolakas en Grec ; généralement des suicidés et des excommuniés qui attendent que l'Eglise les accueille de nouveau en annulant la sentence d'excommunication.
A partir de XVIème siècle, une confusion s'opère entre ces " âmes en peine " et la croyance aux loups-garous : chaque pays utilise sa propre terminologie pour désigner ces prédateurs de la nuit puisqu'il n'existe pas encore de désignation commune.
La fascination pour
le sang dans les représentations collectives
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Le sang est un liquide précieux : c'est le symbole
de la force vitale ; sa perte par blessure constitue un danger mortel. Depuis
toujours, l'homme a peuplé son imaginaire d'individus irréels
assoiffés de sang. La mythologie gréco-latine comporte un grand
nombre de divinités sanguinaires d'apparence féminine comme les
empuses, les lamies, les stryges. Ces dernières sont des femmes au corps
d'oiseau qui s'abreuvent du sang des nouveau-nés et épuisent la
vitalité des jeunes hommes dans leur sommeil. Dans la mythologie monothéiste,
le sang menstruel est perçu comme symbole de
l'impureté de la femme. Mais avec le Christianisme, la signification
du sang s'enrichit : le sang n'est plus seulement symbole du sacrifice mais
source de résurrection : " Ceci est mon sang, prenez et buvez
" Le mythe du vampire emprunte la même symbolique mais inverse
les connotations : la résurrection est damnation.
En plein siècle des Lumières, une nouvelle psychose collective : la crainte du vampire |
Dans la première moitié du XVIIIème siècle, la crainte du vampire prend les dimensions d'une véritable psychose collective. Il faut savoir que dans la première moitié du XVIIème siècle, l'épidémie de peste fut extrêmement meurtrière. Dès qu'on comptait plusieurs morts suspects dans un village, on en attribuait souvent la responsabilité à un revenant. Les autorités alertées par la population faisaient ouvrir des tombes. Les médecins dressaient des rapports.
Le Cas d'Arnold Paole
C'est dans de telles archives que le mot : vampire (orthographié "
vanpir ") est attesté pour la première fois. Il s'agissait
d'un paysan : Arnold Paole, Viennois, qui était censé avoir
décimé une partie d'un village serbe. En France, Louis XV
demande un rapport circonstancié au Duc de Richelieu. Le Glaneur,
une revue Franco-Hollandaise, expose avec un luxe de détails le cas d'Arnold
Paole dans son N° du 3 mars 1732 ; l'affaire provoque d'innombrables controverses
parmi les lettrés. Voltaire et Rousseau s'indignent et se demandent
comment une telle superstition a pu se développer en plein siècle
des Lumières.
Le vampire fut l'une des dernières créations de l'inconscient
collectif européen.
La
représentation " caractéristique" du Vampire.
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Le déclin de la crainte du Vampire
Après la première moitié du XVIIIème siècle, l'époque des grandes épidémies étant passée, la croyance aux vampires va connaître un véritable déclin. Si on enregistre encore quelques nouvelles plaintes au XIXème siècle, elles ne constituent plus un phénomène de masse. L'industrialisation de l'ensemble de l'Europe va imposer une nouvelle rationalité et faire reculer les superstitions du passé. Mais s'insurgeant contre le positivisme régnant, le mouvement romantique ne va pas tarder à redonner vie aux vampires par le biais de la littérature.
Le courant romantique
réinvente la représentation du vampire.
Nous ne croyons plus aux vampires mais nous aimons nous faire peur par des histoires de vampires |
Au XIXème siècle le positivisme règne. Avec l'industrialisation, il n'y a plus de place pour les coutumes, les superstitions ancestrales, ni même le rêve. L idéologie dominante imposée par la grande bourgeoisie est fondée sur le travail, la rentabilité, le respect de l'ordre social et de la religion. C'est l'Angleterre victorienne qui incarne le mieux ce carcan socioculturel. C'est pourtant au sein de cette Angleterre-là qu'apparaît le Dracula de Bram Stocker après qu'un autre roman, Carmilla de Joseph Shéridan le Fanu a réinventé le mythe du Vampire au féminin. Carmilla est inspirée par la comtesse Bathory. C'est une créature sensuelle et cruelle dont les victimes sont d'autres femmes ; elle est censée incarner le mal absolu dans une société où l'homosexualité est un crime.
Hypocrisie et vieille dentelle !
En apparence, ces deux romans satisfont au canon de la morale
établie : ils représentent un combat dans lequel la vertu triomphe
finalement. Carmilla, la femme rebelle est définitivement vaincue grâce
à l'aide de Dieu. La défaite de Dracula, flattait aussi la xénophobie
latente des Victoriens. Mais, à mots couverts,
c'est surtout la sensualité des scènes d'épouvante qui
séduisait le lectorat. La société victorienne, sans se
l'avouer ouvertement, étouffait sous le carcan des tabous et des bienséances
officielles.