Gilles Laval, sire de  Rais, par E. F. Feron, musée du Château de Versailles 

Le procès de Gilles de Rais, George Bataille (1965)

 Bibliothèques 10/18

 

 Gilles de Rais (1404-1440) est un personnage qui fascine et terrifie. Tout en lui est démesure : ces dépenses somptueuses comme sa furie au combat et bien sûr la scélératesse de ses crimes pédérastes

 Georges Bataille voit en Gilles de Rais la figure exemplaire d’une époque de la féodalité où la raison balbutiante n’avait pas encore muselé la fête archaïque de la  violence.

Le procès qui condamne ses crimes manifeste qu’un nouvel ordre est en train de se mettre en place, un ordre qui se caractérise par plus de rigueur de l’économie, par la discipline militaire et par un nouveau code de valeurs influencé par l’amour courtois. Dans le procès de Gilles de Rais, ce sont deux échelles du bien et du mal qui s’affrontent.

Gille de Rais et la légende

Très vite dans les campagnes de Bretagne, du côté des châteaux de Tiffauges, de Champtocé ou de Machecoul où avait résidé le sire de Rais, sa figure se confondit  avec celle de Barbe bleue comme si le monde fabuleux des légendes était seul capable de comprendre l’excès des crimes de Gilles de Rais. Cet amalgame est d’autant plus remarquable qu’il n’y a aucune analogie entre la légende populaire du comte aux sept femmes et l’histoire de Gilles de Rais qui ne se maria qu’une fois et montra bien plutôt son goût pour les jeunes garçons. Mais tout se passa  « comme si une histoire si excessive n’avait pu avoir de héros qu’un monstre, un être sorti de l’humanité commune » 

 Gilles de Rais, comme l’ogre des contes, fascine et terrifie à la fois. Pour G. Bataille cet attrait est celui qui nourrit nos cauchemars. Nous portons en nous un attrait pour le mal dès la tendre enfance  (page 19).

Chevalier dictant une lettre à un moine, Penguilly l'Haridon (1811-1870) musée d'Arras

« Il fit pour son plaisir et selon sa volonté tout le mal qu’il pouvait »

Lorsque le juge Pierre de L’Hôpital interroge Gilles de Rais sur ses motivations, celui-ci répond à plusieurs reprises que ce fut « seulement pour son plaisir et sa délectation charnelle ». Il avoue, déconcerté, ce besoin fatal de tuer qui le tient comme le galop tient la bête emballée. Et son repentir, à ces instants, est d’autant plus poignant que c’est un monstre qui se repent. Mais il montre aussi une fierté dans ses paroles et une audace devant la mort qui rappelle qu’avant de devenir écorcheur d’enfants en chambre, il fut un guerrier furieux.

Dans les actes du procès on voit tour à tour Gilles de Rais insulter le juge, ou s’effondrer en larme devant l’aveu de ses crimes.

D’atroces enfantillages

 Tout ce passe comme si Gilles de Rais n’avait jamais atteint « l’âge de raison » celui de la prudence et des compromis. Chez lui tout n’est que jeux, désordre et excès d’énergie.

On pourrait presque dire sa vie fut une longe suite d’enfantillages (de caprices, de brutalités, de dépenses incontrôlées et d’imprudences). Mais comme le précise G. Bataille « l’enfantillage, en principe a de courtes possibilités » tandis qu’ en raison même du pouvoir et de la fortune de ce Maréchal de France, « ses enfantillages eurent de tragiques possibilités ».

 le Comte Etudes défend Paris contre les Normands, par Jean Victor Schnetz (17877-1870) musée du Château de Versailles
Une violence archaïque

En fait plus qu ‘enfantines ces possibilités sont archaïques. En Gilles de Rais s’exprime la même violence sans frein qui a dû régner pendant de longs siècles de notre histoire lors que les plaines étaient traversées par des hordes de guerriers féroces et G. Bataille cite les récits de Tacite décrivant les « scelera improbissima » des Germains.

Or chez les Germains contrairement aux tribus gauloises et celtes il n’existait aucun rempart symbolique contre la violence comparable par exemple à l’influence des Druides. Au contraire ces jeunes guerriers se distinguaient par une férocité sans limite faisant même de la cruauté envers autrui une occasion de rivaliser entre pairs.

G. Bataille estime que dans les premiers siècles du Moyen âge l’éducation des chevaliers était encore marquée par ces sociétés exclusivement guerrières. C’est encore cette tradition de férocité qui trouve un écho dans les scélératesses du sieur de Rais.

L’influence chrétienne dans l’éducation des chevaliers fut en effet tardive ( tout comme l’influence de l’amour courtois). On peut penser que le goût de terrifier dut subsister longtemps.
D’ailleurs le poème de Bertrand de Born avoue le goût des chevaliers pour le carnage. La jovialité du vieux français ne doit pas tromper. «  Le paradoxe du Moyen Age voulut que les gens de guerre ne parlassent pas le langage de la force et du combat, ils eurent un parler douceâtre Mais… La bonhomie du français ment cyniquement. »  (page 44).

détail des Chroniques de Froissart, Volume I,manuscrit français  du XVème siècle, Paris Bibliothèque Nationale

Réforme militaire : la fin de la fureur guerrière

Gilles de Rais fut donc un chef de guerre furieux dans le combat, et sans mesure dans les pillages qui lui faisaient suite. Et c’est cette démesure guerrière qui le fit d’ailleurs reconnaître de la Pucelle d’Orléans

 Or au milieu de XVè siècle, ces qualités de démesure dans le combat ne sont plus d’actualité. Page 58. Une évolution comparable était déjà apparue en Grèce aux alentours du VII siècle avant J –C.

Les modalités de la guerre changent, elle devient plus technique, les archers se déploient, et la course des bandes armées prend le pas sur les combats prestigieux entre cavaliers. Une discipline nouvelle s’impose comme moyen d’efficacité collective. La tactique de guerre pactise désormais essentiellement avec les ressorts de la réflexion. La fureur glorieuse du Sire de Rais ne trouve plus sa place dans les armées. Or il y a contracté le goût du sang, des exactions et de la démesure dans le crime comme dans le triomphe. G. Bataille conclut que La tragédie de Gilles de Rais est celle de la féodalité, c’est la tragédie de la noblesse. Les crimes de Gilles de Rais sont ceux du monde où il les commit : un monde qui avait longtemps laissé libre cours aux déchaînements de la violence des puissants et qui, peu à peu seulement, appris à se régler sur d’autres codes de valeurs.

 Cette évolution est perceptible dans la langue puisque derrière le même terme de « preux chevalier » ce ne sont plus du tout les mêmes valeurs qui sont prisées entre le Xème et le XVIème siècle.

Miniature des Frères Limbourg, les belles heures de jean de Berry 1410, New york, Metropolitan Museum of art

Des centaines d’enfants suppliciés. Comment de tels crimes et en si grand nombre ont-ils été possibles sans que les autorités ecclésiastiques et judiciaires s’alarment plus tôt ?

 Pour comprendre cette époque il faut garder à l’esprit la distorsion extrême de condition et de pouvoir entre Seigneur et serfs. Gille de Rais était un féodal puissant, les petits mendiants qu’il égorgeait ne comptaient pas beaucoup plus que des chevreaux ni à ses yeux ni à ceux de ces pairs.

De peur des représailles, les parents des victimes n’osaient parler. Il  régnait dans les campagnes une forme de<« terreur silencieuse » que la plume de G. Bataille se plait à décrire « ces forteresses en ruine qui attirent aujourd’hui les touristes, étaient alors de monstrueuses prisons et leurs murailles évoquaient les supplices dont elles étouffaient les cris » page 12. Michel Tournier dans Gilles et Jeanne incrimine aussi l’imprudence des familles qui continuaient à envoyer les enfants mendier au château en dépit des rumeurs.

détail d'une miniature française du XVème siècle, Chantilly,  musée CondéLa  cause objective du procès

D’ailleurs on peut douter que Gilles de Rais eût été inquiété pour ses crimes d’enfant si ses dettes ne l’avaient conduit à vouloir reprendre par fait d’armes un château qu’il avait vendu au trésorier de Bretagne, le château de Saint-Étienne de Mermorte, Par cette expédition non seulement il violait un contrat signé mais il bafouait les saintes lois de l’Eglise en entrant armé dans une chapelle pour y prendre en otage le prêtre (frère du propriétaire) qui y disait l’office. Dans le même jour Gille de Rais parvint donc à s’attirer les hostilités du Duc de Bretagne et de l’Evêque de Nantes.

 N’ayant plus d’appui du côté de ses proches puisqu’il avait par ses folles dépenses gaspillé tout leur héritage, Gille de Rais fut arrêté et conduit à la prison de Nantes où une enquête sur les meurtres d’enfant avait été lancée. La chute du Sire de  Rais déliait enfin les langues. Mais sans l’affaire de Saint-Etienne, on peut  douter que la justice se soit émue des « petits crève-la faim qu’un si grand seigneur égorgeait »

D’ailleurs un siècle plus tard, en Hongrie,  Erszsebeth Bathory une grande dame, tuait ses servantes sans plus d’embarras. Elle ne fut inquiétée que lorsqu’elle s’attaqua à des filles de la petite noblesse, ce qui est un exemple flagrant de justice partisane. Mais l’intérêt historique de ces figures est ailleurs.

La face sanglante des Maîtres

Gilles de Rais est une effroyable illustration de ce que Nietzsche appelle, dans la première dissertation de la Généalogie de la morale, la figure du maître. Il est noble dans tout ce que la noblesse incarne de défi sanglant, de dépenses fastueuses, et de mépris des inférieurs.

.  « Sa noblesse  a le sens d’une violence ne regardant rien et devant laquelle il n’est rien qui ne cède » page 55

Il fut grandiose dans la dépense comme il avait été furieux dans le combat. Ce luxe d’ostentation s’inscrit encore dans une logique archaïque de dépenses et d’excès Voir l’analyse de Bataille dans
l’Erotisme

Pour découvrir d’autres interprétations du personnage :

Là-bas
de J.K. Huysmans

Et Gilles et Jeanne de M. Tournier