La calomnie d'Apelles (~1495)
Sandro Botticelli

"Calomniez avec audace... Il en restera toujours quelque chose..."
Maxime citée par Francis Bacon (1561-1626), De dignitate et augmentis scientiarum.

Le format relativement réduit de ce tableaux (62X91) permet de supposer qu'il n'était pas destiné à une décoration murale mais qu'il appelait, tel un objet précieux, des regards plus approfondis. C'est le dernier tableau de Botticelli représentant un sujet séculier. Par la suite Botticelli ne peindra plus que des sujets religieux.

Apelles est un célèbre peintre de l'Antiquité ; Lucien de Samosate, dans ses Dialogues, raconte qu'il fut accusé d'avoir participé à une révolte contre le roi Ptolémée IV dont il était par ailleurs l'un des protégés. Apelles fut retenu prisonnier jusqu'à ce que l'un des vrais meneurs, pris de repentir, avoue au roi qu'Apelles avait été injustement calomnié par un autre peintre, son rival à la Cour, Antiphilos.


Botticelli avait-il, lui-même, été victime de calomnie ?
On sait par exemple qu'en 1502 des bruits coururent selon lesquelles il aurait eu des relations érotiques avec l'un de ses élèves.
Botticelli a choisi de peindre Apelles dénudé, symbole de l'innocence - lui, ne cache rien ! - contrairement aux voiles, plis et replis des figures qui l'accusent et tissent son discrédit.

Au centre du tableau, la Calomnie (dont le regard posé sur le jeune homme est empreint d'insensibilité et de froideur) est entourée par des servantes. Rolf Taschen dans l'édition qu'il consacre au peintre y lit des allégories de la Fourberie et de la Fraude : ces deux figures tissent dans la chevelure de leur maîtresse un ruban et la parent de bouquets de roses. La calomnie sait se parer des prestiges de la vertu morale.

Dans la partie droite du tableau, le roi, assis sur son trône, est assailli par deux autres figures qui soufflent perfidement des ragots dans ses oreilles d'âne ! Le roi tend la main comme s'il tranchait une question de justice : sa parole va faire autorité, mais son geste rencontre un autre bras tendu, celui d'un homme au visage dur qui empoigne de la main droite la torche de l'inimitié, ce flambeau de haine qui éclaire tout d'une lumière de scandale et incendie si promptement les réputations les plus pures.

A l'autre extrémité du tableau, faisant écho à la nudité du jeune peintre, la Vérité dans sa beauté idéale dresse l'index vers le ciel comme pour en appeler au jugement du Très Haut. A la droite de la Vérité, une vielle femme à la face grimaçante montre des poignets croisés tel un prisonnier. Ce sont les douleurs et les crispations du Repentir.

Remarquons que, juste au-dessus du flambeau, Botticcelli place une épée, comme pour nous mettre en garde contre les réactions armées qui se laisseraient trop vite emporter par le feu de la calomnie.

Le drame représenté se joue sous les yeux d'un peuple de statues, celles des bas-reliefs qui, en écho, semblent observer et commenter la scène qui se déroule à leurs pieds.