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L'Anglaise
et le duc
Rohmer |
Une Britannique qui conjugue parfaitement la langue française
au subjonctif imparfait ;
( à l'heure où certains
prônent le "tout-Anglais", l'évocation est savoureuse
!)
Un film qui exploite résolument les possibilités du numérique
mais pour camper un décors de maquette surannée
( la représentation du passé n'est-elle
pas toujours un montage d'archives,
donc une forme de "bricolage en carton-pâte"
? )
Une reconstitution d'un moment historique mais qui s'attache essentiellement
aux destins d'individus particuliers.
- sans doute parce qu'il n'y aurait
pas de collectif sans participation des particuliers ! -
Rohmer a l'art des représentations décalées...
Prenant le contre pied des poncifs contemporains, il opère
un détour par le passé et
offre un film résolument intempestif
pour nous rendre plus vigilant sur les enjeux de l'actualité :
Dans l' Anglaise et le duc la peinture
de la Terreur révolutionnaire est l'occasion de dénoncer la récurrence
des amalgames meurtriers dans l'Histoire.
- De même qu' il était faux et criminel
de réduire tous les aristocrates à des "ennemis du peuple",
de même il est faux et dangereux de réduire tous les Musulmans
à des Islamistes, tous les Afghans à des Talibans, tous ceux
qui portent un turban à des terroristes.
- Le travail de mise à plat de Rohmer va plus loin
: les inégalités de condition sociale (incontestables dans
ce film qui parle de rente) sont-elles des motifs suffisants pour justifier
la violence des renversements de régimes puisque toutes les périodes
de terreur politique favorisent les esprits vindicatifs et mesquins. Rohmer
campe à ce propos quelques beaux spécimens de sous-fifres zélés
et d'ambitieux arrogants. Tout le film opte en creux pour la voie des réformes
(parce qu'elles sont compatibles avec le fonctionnement ordinaire de la société
civile ) et non pour celle de la révolution car les plus paresseux
prennent alors prétexte de "l'intérêt public"
pour ne plus rien produire et vivre seulement d'espionner... Dans la Doctrine
du droit (1796) Emmanuel Kant, tout en admirant l'avancée juridique
que représentent les constitutions républicaines, émet
les mêmes restrictions sur le processus révolutionnaire que Grace
Elliott dans ses Souvenirs (voir dans la Doctrine du droit,
la seconde partie consacrée au droit public, la Remarque générale
A ; p. 204 édition Vrin, 1986 ; traduction A.Philonenko)
- Mais la réflexion de Rohmer avoue aussi les aberrations
auxquelles les temps de crise conduisent les plus raisonnables des particuliers
: parce que la Terreur règne, et que rejeter Champcenetz
dans la rue c'est être directement responsable de sa mort, Grace
Elliott en vient à risquer sa vie pour un homme qu'elle n'aime pas,
qu'elle connaît d'ailleurs à peine, et qui, de plus, n'a pas
eu dans le passé une attitude honorable vis-à-vis du Duc d'Orléans
envers lequel elle est liée ! Belle illustration
du sentiment paradoxale de "responsabilité envers autrui"
travaillé par Emmanuel Lévinas dans toute son oeuvre. Voir à
ce propos la fiche de lecture qui présente Éthique
et Infini
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En complément d'information nous
vous recommandons le bel article de l'historien
Marc Fumaroli dans les Cahiers du Cinéma (juillet-août
2001)
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