L' Algérie et les "Amendements Dilem"

Le 16 mai dernier, le parlement algérien a adopté toute une série de mesures visant à réduire la liberté d'expression et donc de contestation du régime. Ces amendements portés au code penal ont été surnommés "amendements Dilem" du nom du célèbre caricaturiste algérien qui illustre, chaque jour, la dernière page du quotidien francophone Liberté ( tiré à 150 000 exemplaires).

Les caricatures d'Ali Dilem renvoient dos à dos militaires, islamistes et politiques. Elles dénoncent aussi leurs complicités et les trafics. Des mouches, symboles de pourriture, de mort et de décomposition, escortent les assassins de tous bords. Des chauve-souris dénoncent la noirceur des desseins islamistes. La nation algériennne apparaît sous les traits d'une femme voilée mais qui ne mâche pas ses mots. Le peuple -auquel il ne reste jamais qu'une portion congrue des richesses nationnales- est aussi souvent évoqué sous la forme volontairement équivoque d'une "écuelle " jeté au bas du bureau présidentiel : le Peuple, "traité comme un chien"depuis trop longtemps, pourrait bien montrer ses crocs...

Ali Dilem a le sens de la répartie ;l'insolence incisive de ses commentaires est astucieusement mise en valeur par la rondeur du trait de ses dessins... Rien n'est tabou; toutes les bassesses et tous les crimes sont dénoncés au jour le jour dans la grande tradition de la caricature politique et sociale.

Pour Florence Bougé qui a étudié pour le Journal Le Monde la situation de la presse en Algérie, Dilem est à la fois "un symbole, une catharsis et une revanche pour la population algériennne". D'où le succès de l'album qui recueille une grande partie des dessins déjà publiés par le journal Liberté ; paru en août 2000 " Boutef, président en est à sa troisième réedition !

Les dessinsde Dilem vont à l'essentiel, ils "disent tout" et frappent avec une économie de mots et de traits, ce qui donne à cet homme de trente trois ans un rôle politique qu'il assume sans prétention : " C'est dommage qu'il me reviennent le rôle de dire, par le biais de mes dessins, que les généraux doivent partir[...] Je ne devrais être là que pour amuser la galerie !" extrait d'un entretien paru dans Le monde du 18 mai 2001

Parmi les propos recueillis par Florence Beaugé, le journaliste Ihsame El Kadi rend hommage au travail d'Ali Dilem :" Tout au long des années les plus sanglantes qu'a traversées notre pays, il nous a appris à rire de nos deuils, puis... des responsables de nos deuils."

C'est sans doute parce que ce travail de sape a fait son oeuvre que le régime change aujourd'hui de politique et durcit la censure. Pendant longtemps en effet, les dessins de Dilem ont servi paradoxalement, et bien malgé leur auteur, de caution au sytème : le pouvoir algérien tolérant de telles accusations, voulait présenter ainsi la preuve du caractère démocratique du régime ( alors que les enquêtes et analyses de fond des journalistes indépendants étaient constamment entravées). Les amendements du 16 mai qui visent les dessins de Dilem comme toutes les autres formes de contestation marquent donc un tournant dans la sclérose du pouvoir.

Le nouveau texte donne au Parquet le pouvoir de déclencher des poursuites judiciaires de manière "automatique" sans avoir été saisi d'une plainte.
En l'absence d'un appareil judiciaire véritablement indépendant, les journalistes craignent de perdre leur liberté de critique et dénoncent, comme Charles Philippon, Daumier et Granville, au siècle dernier, les" lois scélérates".

"Quiconque porte atteinte au président de la République en termes contenant l'injure, l'insulte et la diffamation, soit par écrit soit par le dessin[...] par voie ecrite[...] sonore ou électronique", encourt désormais une peine de trois mois à douze mois de prison et des amendes variant de 50 000 à 250 000 Dinars ( soit 5000 à 25000 Francs). Des mesures de rétorsion équivalentes sont prises contre les prêches " subversifs", les "outrages" à l'armée et à tous représentants de l'ordre public. En cas de délit par voie de presse, les responsables de la publication auront à acquiter une amende pouvant atteindre 2 500 000 Dinars.

 

...Une fois de plus, l 'Histoire de la caricature et de la liberté de la presse bégaye !

Pour voir la réaction du Journal Liberté le lendemain cliquez !
Et pour plus de précision voir l'article de Florence Beaugé dans Le Monde du 18 Mai 2001.