Peinture de Jean Baptiste Coulom, représentant une scène du roman comique de Scarron paru en 1651-1657, Musée de Tessé, Le Mans.

Corneille, L'illusion comique, Acte V, Scène VI

" …Ce que votre temps voyait avec mépris est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits… "

La pièce jouée pour la première fois à Paris, Théâtre du Marais, en 1636 fut un immense succès ! Corneille ne s'était encore fait connaître que par des pièces comiques : Mélite, la Galerie du Palais, La Place Royale.

Résumé de l'intrigue
Clindor a fui depuis longtemps la sévérité de son père loin de la maison familiale. Il est devenu le suivant de Matamore, un capitaine gascon aussi fat que lâche. Pridamant, le père de Clindor, recherche désespérément son fils et fait appel aux services d'un magicien, Alcandre ; c'est dans sa grotte que l'enchanteur lui offre de suivre les aventures de Clindor qui paraissent se dérouler fort loin de là. Pridamant croit véritablement à ces visions, il s'inquiète pour son enfant qu'il aperçoit d'abord mort, puis emprisonné pour meurtre, puis finalement délivré par sa maîtresse Isabelle. Le rideau est tombé et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent

Pridamant
Que vois-je ! Chez les morts compte-ton de l'argent ?

Alcandre
Voyez si pas un d'eux s'y montre négligent

Pridamant
Je vois Clindor, Rosine. Ah Dieu ! Quelle surprise !
Je vois leur assassin, je vois sa femme et Lise,
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?

Alcandre
Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique
Leur poème récité partagent leur pratique,
L'un tue et l'autre meurt, l'autre vous fait pitié,
Mais la scène préside à leur inimitié,
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
Et sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles
,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant
Se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su par leur fuite
D'un père et d'un prévôt éviter la poursuite,
Mais tombant dans les mains de la nécessité
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.

Pridamant
Mon fils comédien !

Alcandre
D'un art si difficile
Tous les quatre au besoin en ont fait leur asile
Et depuis sa prison ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas impourvu,
N'est que la triste fin d'une pièce tragique
Qu'il expose aujourd'hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons et lui dans leur métier
Ravissent dans Paris un peuple tout entier
Le gain leur en demeure et ce grand équipage
Dont je vous ai fait voir le superbe attelage
Est bien à votre fils mais non pour s'en parer
Qu'alors que sur la scène il se fait admirer.

Pridamant
J'ai pris sa mort pour vraie, et ce n'était que feinte
Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte,
Est-ce là cette gloire et ce haut rang d'honneur
Où le devait monter l'excès de son bonheur ?

Alcandre
Cessez de vous en plaindre, à présent le théâtre
Est en un point si haut qu'un chacun l'idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits…