La représentation de le femme en sorcière "Partout où la vie est germination, fermentation, elle soulève le dégoût". Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe |
Fascination et misogynie !
" La sorcière n'a ni père, ni mère
ni fils, ni époux, ni famille. C'est un monstre, un aérolithe
venu on ne sait d'où. Qui oserait, grand Dieu ! en approcher ?
Où est-elle ? Aux lieux impossibles, dans la forêt des ronces,
sur la lande où l'épine, le chardon emmêlés, ne permettent
pas le passage. La nuit, sous quelque vieux dolmen. Si on l'y trouve, elle est
encore isolée par l'horreur commune ; elle a autour comme un cercle de
feu. Qui le croira pourtant ? C'est une femme encore. Même cette vie terrible
presse et tend son ressort de femme, l'électricité féminine
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Jules Michelet (1798-1874), La sorcière.
Dans la topographie des représentations collectives on aurait tendance à croire que la figure de la sorcière s'oppose radicalement à la figure de la mère et de la jeune-fille. Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir montre au contraire que les trois figures se confondent dans une crainte ancestrale de l'homme envers les puissances de germination que le féminité recèle.
La fécondité de la femme effraie car la germination, la fermentation de la vie, est toujours aussi associée à la mort. "L' Embryon glaireux ouvre le cycle qui s'achève dans la pourriture de la mort[...] La terre-mère engloutit dans son sein les ossements de ses enfants" ; Simone de Beauvoir souligne la récurrence du thème de la mort dans les représentations mythiques de la femme "ce sont des femmes- Les Parques- qui tissent la destinée humaine mais ce sont aussi elles qui en tranchent les fils ; la mort est femme et dans quasiment toutes les civilisations c'est aux femmes qu'il revient de pleurer les morts parce que la mort est leur oeuvre. Ainsi la femme-mère a un visage de ténèbres : elle est le chaos d'où tout est issu et où tout doit un jour retourner"p.247. L'homme a horreur d'avoir été engendré car du fait de sa naissance la Nature meurtrière a prise sur lui. Dès lors il pense la femme comme impure et la plupart des mentalités primitives ont inventé des vertus néfastes aux menstruations comme au sang virginal...
Représentation ambivalente de la virginité
Dès qu'avec le régime patriarcal l'homme devient le maître de la femme, la signification du sang virginal s'inverse. Il devient un symbole propice ( "de même que les vertus qui effraient chez les bêtes encore sauvages deviennent des qualités précieuses pour le propriétaire qui a su les dompter"). En brisant l'hymen l'homme croit posséder le corps de la femme plus intimement que par une pénétration qui le laisse intact. Par la défloraison il le marque irréversiblement et entend avoir prise sur lui... Mais la virginité n'a cet attrait érotique que si elle est alliée à la jeunesse, sinon son mystère en redevient inquiétant. Dans les mentalités patriarcales la destination de la femme étant d'être dominée et possédée par un homme, la pérennitéde la virginité n'est acceptée que si elle est consacrée à un dieu. "Les vierges que l'homme n'a pas maîtrisées, les vielles femmes qui ont échappé à son pouvoir sont, plus facilement que les autres, regardées comme des sorcières...La malédiction est dans leur chair". p.261
La sorcière représente la femme cruelle et insaisissable. L'imagination
apeurée la voit s'envoler la nuit en poussant des cris rauques. Toute
une fantasmagorie raconte comment elle se transforme en oiseau de proie, et
entre dans les maisons pour y dévorer les petits enfants. Elle s'infiltre
dit-on aussi dans les lits des jeunes hommes pour y épuiser leur vigueur
dans la lubricité du plaisir. Elle les vieillit avant l'heure tel un
vampire qui suce, avec le sang de ses victimes, leur fluide vital.
Dès l'Antiquité, Diane ou Médée, plus tard Hérodias
(la femme d'Hérode responsable de la mort de saint Jean-Baptiste) sont
craintes pour leurs pouvoirs maléfiques. Ce sont des magiciennes.
Sociologiquement
Jules Michelet voit dans la sorcière le masque d'une femme révoltée
contre l'ordre juridique et symbolique institué par les hommes.
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Même si nous savons aujourd'hui que la condition des
femmes dans le passé connut bien des variantes en fonction des régions,
il n'en reste pas moins que généralement les femmes n'étaient
pas reconnues comme des sujets de droit. Les lois instituées par
les hommes tenaient les femmes sous tutelle juridique, les faisant passer de
la domination du père ou des frères à celle d'un époux
qu'elles avaient rarement choisi.
Avec le veuvage, la femme acquérait une relative autonomie, mais,
en même temps, sa situation économique se dégradait souvent
; la veuve était isolée (comme la vieille fille qui survit
à la mort de ses frères). Michelet voit dans cette exclusion le
moteur d'un désir de revanche : pour la vieille femme, effrayer par
des allures de sorcière et monnayer quelques remèdes de "
bonne femme " c'est enfin exercer un pouvoir !
Longtemps le corps de la femme, sa physiologie, resta mal connus des médecins. Dans le monothéisme, la perte du sang menstruel est perçue comme une blessure immonde : c'est la trace et le châtiment de la chute dans le péché qui exclut l'humanité du jardin d'Éden, le Paradis de l'innocence. Le sang de la femme serait à l'origine de toutes les malédictions et prédisposerait donc toutes les filles d'Eve à devenir des suppôts de Satan. Statistiquement d'ailleurs la chasse aux sorciers fut en fait une chasse aux sorcières.
Pour féter Halloween en érudit nous signalons
que Jean Michel Sallmann, (professeur d'Histoire Moderne à Paris X-Nanterre)
a publié, dans la collection Découvertes de Gallimard, Les
sorcières, les fiancées de Satan, un essai dont le titre renvoie
à ces représentations collectives...