LA CARICATURE OU L'EFFICACITE ASSASSINE DU TRAIT.
" Le signe descend du dessin via le pictogramme et
le hiéroglyphe, et il n'est pas dit qu'il ne puisse y remonter un jour
" |
L'art du raccourci meurtrier
La caricature est une " malice dessinée ", " une méchanceté colorée " (Jules
Janin, Dictionnaire de la conversation, 1834). Dans ce type d'expression,
le dessin est plein d'esprit, ce qui ruine l' opposition devenue classique depuis
Platon entre le sensible et l'intelligible. La caricature fait sens avec une
étonnante économie de mots et de traits. Son impact tient à son habileté dans
les raccourcis. Elle a le génie de la synthèse. Avec elle l'anecdote prend une
dimension exemplaire car symptomatique. Face damnée de la peinture d'Histoire,
propre, comme elle, à saisir " l'instant décisif ", la caricature préfère l'espièglerie
à l'apologie. Elle acquiert toutefois ses lettres de noblesse dans la persistance
de sa résistance :Voir Les " amendements
Dilem " en Algérie. La caricature est la voix de la conscience qui, comme
le soulignait Hegel, est d'abord un sentiment de " mauvaise conscience ". Mais
loin des larmoiements apitoyés des belles âmes, la caricature s'arme de gouaille
et apostrophe les puissants et les responsables. Du pire elle prend le parti
de rire pour ne pas étouffer de rage Voir la caricature
ou le parti d'en rire. Elle s'adresse aux processus primaires du rêve, du
cauchemar, du jeu et de l'angoisse. Elle sait nous toucher au plus profond des
sources du psychisme. C'est ainsi qu'elle a barre sur nous.
Dans Vie et mort de l'Image, Régis Debray, retrace l'histoire du regard en Occident et donne des pistes qui permettent de mieux comprendre l'impact des représentations caricaturales :
" L'image fut notre premier moyen de transmission ; la Raison graphique, mère des sciences et des lois, est lentement issue d'une Raison iconographique. Comme la fable a précédé le savoir, et les épopées les équations, le glyphe a des dizaines de milliers d'années d'avance sur le graphe[…] Et on se doute que les millénaires qui séparent les taureaux de Lascaux des premières transcriptions mésopotamiennes déchiffrables ne se sont pas évanouis en nous sans laisser de traces ; sans ouvrir de confortables voies de frayage aux successeurs. Pour avoir été enfant avant que d 'être homme, pour avoir dansé avant d'analyser, prié avant de demander et incisé au silex des os de renne avant d'aligner des mots sur le papier " le stupéfiant image " court dans nos synapses plus vite que le concept... "
Régis Debray, Vie et mort de l'image, page 161-162; Folio Essais