A soupçonner sous les comportements d’autrui une identité cachée, on s’expose à toujours le penser comme coupable de feinte et finalement impénétrable alors qu’ il faut peut-être abandonner simultanément l’idée d’identité et celle de secret.
Si autrui est pour moi l’inconnu, c’est peut-être moins par parce qu’il dissimule que parce qu‘il est essentiellement divers et toujours en devenir, parce qu’il n’a pas d’identité propre, définitive.
A l’idée d’une identité constituée en intériorité cachée s’oppose une autre conception selon laquelle il n’y a plus d’identité stable mais des individus en relation avec des ajustements de comportement, des accommodations, qui précisent à chaque fois le contour d’une personnalité en continuelle construction..
Il n’y a pas d’identité mais des rôles multiples qui déroulent des caractères différents à la faveur de nouvelles situations ;
Cette intuition retrouve par un autre biais la pensée de Sartre dans L’être et le néant, quand il analyse le devoir de sincérité tel qu’il est traditionnellement pensé « Péché avoué, à moitié pardonné ». Sartre critique la façon dont les autres veulent nous acculer à avouer ce que nous sommes ; à « être sincères » comme si nous étions réductibles à un mot, une catégorie psychologique. ( 101 NRF « Le champion de la sincérité, dans la mesure où il veut se rassurer, alors qu’il prêtant juger, dans la mesure où il demande à une liberté de se constituer en tant que liberté comme chose, est de mauvaise foi ». Une conscience déborde toujours en complexité et possibilités la particularité d’une de ses manifestations.
« Je est un autre » C’est parce qu’il est indéfinissable et en perpétuel devenir qu’il est inconnaissable.
Nietzsche dans La généalogie de la morale montre comment la société induit chacun de nous à croire en l ’identité des autres et de nous-mêmes pour nous conduire à accepter contrats et engagements qui nous lient indépendamment du changement. La conception classique de l’identité est le produit d’une « métaphysique de bourreau » pour reprendre l’expression de La Généalogie de la morale :Première dissertation §13 ; §14 ; §15 La reconnaissance d’une identité stable permet de décréter l’homme coupable de changement.
L’analyse de l’autre permet de débusquer une fraude intellectuelle. Plutôt que d’admettre l’évolution d’une personnalité en perpétuelle improvisation d’elle-même, on préfère invoquer la dissimulation initiale puis la révélation d’une identité profonde, d’abord cachée.
*Le devenir autre de l’ami (amant) enseigne l’altérité de l’autre : voyez l’étude des Affinités électives de Goethe et le corrigé de dissertation sur l’amitié