L’animal est autre que l’homme
Il y a en effet des arguments qui permettent de soutenir que les rapports entre les hommes et les animaux doivent être différents puisque l’animal peut être pensé comme autre que l’homme. Il semble ainsi aberrant de se soucier plus des animaux que des hommes, d’avoir scrupule à exploiter la force animale tout en acceptant les pires exploitations de l’homme par l’homme (les mouvements de défense des animaux paraissent symptomatiques des cultures urbaines. L’homme est le seul animal capable de se fixer des fins qui débordent le cadre naturel de l’ existence. L’homme est le seul animal capable d’organiser son action et la nature toute entière, en fonction de ses propres projets réfléchis. A chaque fois qu’un homme en traite un autre comme un simple moyen, il nie sa qualité de personne à part entière et il méprise en l’autre la singularité de la nature humaine.
Toutefois l’indifférence des hommes les uns envers les autres conduit à une réévaluation de l’animal domestique. L’adjectif même le signifie bien : ils nous sont proches, familiers. Tout en étant autres, ils ne nous sont pas étrangers. Il y a même des situations où un chien peut être plus sensible à la peine d’autrui que bien des hommes. Lévinas parle ainsi d’un chien, « le dernier kantien de l’Allemagne nazie » qui accueille les déportés à l’ouverture des camps alors que tous les Allemands qui ont croisés les convois n’avaient eu aucun regard. Dans un registre comique quelques scènes de Didier de Christian Bacchri sont tout à fait éloquentes.
Parce que nos semblables peuvent être inhumains, les animaux domestiques, par la spontanéité et la simplicité de leurs réactions, peuvent paraître plus proches de nous que nombre de nos contemporains. Plus généralement le courant utilitariste revendique la reconnaissance des droits de tous les êtres animés susceptibles de plaisir et de peine. Dans cette perspective, l’animal devient comme l’homme sujet de droits
L’animal sauvage, parce qu’il nous effraie, a pu servir de référence pour rendre compte des comportements humains les plus violents : « on » a cherché à localiser « la bête » en l’homme pour mieux la « domestiquer ». En 1965 des analyses génétiques croyaient avoir isolé le gène de l’agressivité : celui du « super mâle XYY ». Cette représentation de la violence humaine comme étant la manifestation de pulsions bestiales non disciplinées permettait à chacun de se leurrer sur la nature humaine en croyant que l’homme n’est pas violent en tant qu’homme. Il a fallu se rendre à l’évidence. L’agression chez les animaux est essentiellement extra spécifique ( elle est le corrélat de la chaîne alimentaire). Quant à l’agression intra spécifique ( combat des mâles pour la domination des femelles) elle se caractérise par son faible taux de mortalité. On observe même des comportements de soumission chez les loups : le mâle épuisé se couche sur le dos et expose sa gorge au vainqueur ainsi reconnu ce qui a pour effet de stopper le combat. Contrairement à l’adage hobbien il faut donc dire (hélas !) que « l’homme n’est pas un loup pour l’ homme » L’homme est le seul animal capable d’humilier son semblable pour le seul plaisir de ressentir par contraste sa supériorité.
Mais l’homme ne se contente pas de projeter sur l’animal sauvage sa propre agressivité pour mieux s’en dédouaner, les propos racistes ravalent au rang de simples animaux tous ceux qui ne sont pas reconnus comme hommes à part entière à cause de leurs apparences ou comportements différents. Claude Lévi- Strauss dans Race et Histoire montre que l’ethnocentrisme consiste à rejeter dans la nature toutes les formes culturelles qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.
La littérature coloniale du XIX siècle regorge d’assimilation de l’indigène à l’animal pour mieux occulter ce par quoi il doit être reconnu comme notre semblable. Leur sexualité est qualifiée de « bestiale», leur habileté plastique et rythmique, de « danse de singe ».
Dans le même ordre d’idée, on remarquera qu’il est courant pour humilier un homme de « le traiter comme un chien … » ( mais justement pas au sens où le citadin prend soin de son fidèle compagnon ! )