L’enfer dans  la divine Comédie de Dante,

illustrée par William Blake

Antée dépose Dante et Virgile au fond du 9ème cercleLe mal comme abîme où sombre celui qui se détourne de Dieu.

En dépit de la très grande beauté poétique des vers en italien, le livre aujourd’hui tombe souvent des mains, c’est sans doute l’effet conjugué d’une triple déception :

Dans le registre descriptif, le cinéma fantastique fait plus sanglant (voyez Cube de Vincent Natali 1999) ) ;  dans le registre conceptuel, il n’y a pas de théorie morale clairement charpentée et argumentée ( à la Sade par exemple). La divine comédie propose seulement une succession de remarques qui s’étiolent dans un fouillis de références souvent allusives, sans doute évidentes pour les contemporains de Dante, mais trop obscures pour nous, de sorte que « la litanie » ennuie.

 On attendait des cris, du sang, de l’action et des sermons. Et nous sommes perdus dans un dédale d’images certes symboliques, mais rendues muettes ou affadies par notre expérience propre des enfers historiques ou psychiatriques ( comme  par exemple dans le film de Milos Forman : Vol au-dessus d’un nid de Coucou 1975).

Il n’en reste pas moins que le livre fait date. Il est l’une des expressions les plus pures de l’humanisme chrétien du XIII siècle pour lequel le mal n’est que la privation du Bien et l’Enfer, l’abîme engendré par le premier ange rebelle, Lucifer. Dante prend l’image au pied de la lettre et nous exposer la géographie intérieure de ce gouffre. Cette fresque morale « décrit l’univers de fond en comble » et assigne à chaque personnage, historique ou mythique, sa place dans l’au-delà…  La divine comédie est un prodigieux inventaire des crimes et des mérites qui suscita l’admiration de Balzac comme celle de Victor Hugo.

STRUCTURE DU POEME ET ITINERAIRE SYMBOLIQUE

Poursuivi par trois fauves, Dante est sauvé par VirgileCe poème sacré est une épopée composée de cent chants  répartis en trois parties  (de trente trois chants chacune jouant avec la valeur mystique des nombres trois et cent), l’Enfer, le Purgatoire, le Paradis, après un prologue qui présente Dante en proie au doute :

«  Au milieu du chemin de notre vie

je me retrouvai par une forêt obscure,

car la voie droite était perdue. »

Sur la voie escarpée du bonheur, Dante s’est égaré : trois fauves lui barrent la route, ce sont trois passions qui se déchaînent dans son cœur comme dans le monde politique des cités, trois fléaux  qui rendent l’homme étranger à sa nature initiale, trois passions  symbolisées par la panthère, le lion et la louve : Luxure, Orgueil, Avarice (au sens médiéval de convoitise et  cupidité

«  une louve qui paraissait dans sa maigreur
chargée de toutes les envies,
et qui fit vivre bien des gens dans la misère[…]
Elle a nature si mauvaise et si  perverse
que jamais son envie ne s‘apaise.
et quand elle est repue elle a plus faim qu’avant. »

Dans la forêt sauvage du péché, Dante sera d’abord guidé par la voix de la raison que personnifie le poète latin Virgile c’est sous son égide qu’il mesure toute la profondeur des enfers ( les neuf cercles dans lesquels les hommes s’engouffrent quand ils ne savent plus percevoir la lumière de la raison.

Dante connaît alors la pénitence et l’espérance en gravissant les neuf gradins du Purgatoire. C’est là qu’il retrouve Béatriceambassadrice de la Révélation.

 La foi se substitue à la sagesse humaine et entraîne le poète à travers les neuf cieux du Paradis (représentation du cosmos héritée de Ptolémée) ;

 puis Saint Bernard symbole de la sagesse mystique, intercède auprès de la Vierge médiatrice afin que Dante puisse goûter un instant d’éternité par la contemplation directe du Créateur. Dante se sent de nouveau uni au courant universel de l‘amour qui met en mouvement le soleil et les autres étoiles.

 TOPOGRAPHIE INFERNALE

LuciferQuand l’homme s’engouffre dans la spirale infernale des passions, il vit en enfer. C’est l’interprétation agnostique que l’on pourrait donner de tous les mythes infernaux. Mais Dante prend l’image au pied de la lettre. Il offre une topographie précise des lieux et en explique aussi la « genèse » dans le dernier chant de l’enfer (XXXIV) avec la chute de Lucifer (l’ange de la lumière).

Dans un univers créé par la suprême perfection, tout ce qui est est forcément bon ! Le mal n’est que la privation du bien, c‘est à dire, au sens propre, le désespoir, l’abîme, le néant dans lequel sombre la créature dès qu’elle refuse volontairement la voix de la perfection qui est en elle.

C’est ainsi que la révolte de Lucifer le précipite jusqu’au lieu le plus éloigné de Dieu jusqu’aux profondeurs du centre de la terre. Sa chute provoqua un véritable chamboulement tellurique dans la partie de l’hémisphère boréale. L’enfer a la forme d’un cône renversé, Lucifer gît en son tréfonds, empêtré dans la glace du renoncement ; ces trois visages pleurent des larmes de sang qui, refroidies par ses ailes d’oiseau de nuit , glacent le Cocyte (région du dernier cercle de l’enfer assignée à ceux qui ont trahi leurs parents)

Lucifer a trois bouches infernales par lesquelles les trois plus grands criminels de Histoire sont déchirés sans relâche : Judas Iscariote qui trahît Jésus, Brutus et Cassius tous deux  traîtres de César.

RECUL CRITIQUE

Au palmarès des crimes et abominations, le XXème siècle a vu naître et prospérer des monstres plus pervers que Brutus et Cassius. Quant à Judas, son suicide nous le rend finalement sympathique, Saint Pierre lui-même n’a-t-il pas, par trois fois, renié Jésus …

Ce n’est qu’en réintégrant le contexte historique de Dante que nous comprendrons la hiérarchisation de ses condamnations.

REGLEMENTS DE COMPTE POLITIQUES ET PROPHESIE PROVIDENTIELLE

Ciampolo, le serviteur dévoyé des Grands, tourmenté par le Diable MoricaudContexte politique

Au XIII siècle, Florence devient l’une des plus puissantes cités italiennes, dès 1250 les affaires communales sont aux mains de la bourgeoisie et des artisans  qui en s’alliant, sont parvenus à évincer les familles aristocratiques ;, l’activité économique prospère ; bientôt d’ailleurs les Florins d’or frappés aux armes de la ville deviennent, pour trois siècles, la monnaie de référence de l’Europe marchande. Florence est l’objet de toutes les convoitises. Les confits entre Guelfes et Gibelins puis Guelfes Noirs et Guelfes Blancs sont révélateurs du jeu complexe des alliances et contre-alliances.

Guelfes et Gibelins,

 Ce sont deux factions en lutte, toutefois, l’origine de ces termes n’est pas italienne mais germanique.

« Gibelin » est le crie guerre de la maison impériale des Hohenstaufen, « Guelfe » est le nom d’une famille féodale de Bavière hostile à la maison impériale et pour cette raison favorable à un accord avec la papauté.

Mais en Italie, le conflit entre Gibelins, défenseur de la suprématie politiques des Empereurs et Guelfes, partisans de l’autorité papale, est devenu le prétexte à un affrontement entre Nobles et Bourgeois sur horizon de rivalités et convoitises régionales et étrangères. Empire et Papauté représentent donc des prétextes d’alliance plus que des Causes noblement embrassées pour elles-mêmes. Dante vit douloureusement ce climat de lutte sociale et d’hostilité générale.

Précision : Quand Dante naît, Florence est depuis quelques années aux mains des Gibelins qui seront ensuite (1266) définitivement évincés du pouvoir à Florence. Le parti des Guelfes se scinde entre Blancs et Noirs : les noirs reconnaissent à la hiérarchie papale une autorité dans les affaires temporelle ; les Blancs sont plus proches d’une conception républicaine du pouvoir. C’est comme Blanc que Dante entre sur la scène politique. Il y fait l’expérience du pouvoir et de ses revers.

 Mais dans la Divine Comédie, après avoir abondamment dénoncé la perfidie et les ambitions terrestres des Papes, Dante se montre plein de confiance envers les desseins de la Providence : Un messager de Dieu  viendra (le Dux) et saura faire régner la justice et la charité mettant fin aux guerres fratricides et à la corruption qui ruinent la Gloire de l’Eglise.

ECHELLE DU MAL SELON DANTE

Au vestibule de l’Enfer loge la lâcheté. (Chant III )

Le vestibule de l'enfer, les âmes se réunissent pour franchir L'AchéronC’est là que réside la grande foule de ceux qui vécurent mollement trop attachés à leur petit confort pour oser de grandes choses ni dans le Bien ni dans le Mal

«  cet état misérable est celui des méchantes âmes des humains
qui vécurent sans infamie et sans louange et qui ne furent que pour eux-mêmes...
 Les cieux  les chassent, pour n’être pas moins beaux
 et le profond enfer ne veut pas d’eux,
car les damnés en auraient plus de gloire ».

 Ces esprits neutres et lâches sont sans cesse harcelés par les insectes qui les aiguillonnent vainement. De leur vivant, ils n’avaient su ni trancher ni vouloir.

 C’est la foule de l’humanité passive qui est ainsi conspuée. Sans  cette inertie, nulle cause injuste ne pourrait étendre son mal ; en revanche, cette masse dolente fournit le terreau sur lequel germent toutes les tyrannies.

Premier cercle de l’enfer : Les limbes (chant IV)

Homère et les poètes anciensEst-ce un crime que de ne pas avoir connu Dieu, d’être mort avant la Révélation des Saintes écritures ou sans baptême ?

Pour la sagesse chrétienne du Moyen âge oui, sans aucun doute c’est pourquoi une foule de sages peuple les limbes.

« Ils furent sans péchés ; et ils ont des mérites ;
ce n’est pas assez car ils n’ont pas eu le baptême
qui est la porte de la foi que tu as ;
et s’ils vécurent avant la loi chrétienne,
ils n’adoraient pas Dieu  comme il convient […]
Pour un tel manque, et non pour d’autres crimes,
 nous sommes perdus et notre unique peine,
 est que sans espoir nous vivons en désir »

La phrase est superbe, une fois de plus pour Dante, le malheur n’est rien sinon l’absence du Bien. Mais l’exégèse pourrait demander si Vigile, Aristote et tous les sages du passé étaient eux-mêmes responsables de leur ignorance de la vraie loi ? N’y a t-il pas en leur pensée une prescience de la perfection du principe premier qui, en bonne charité, aurait dû leur ouvrir les portes du Paradis ?

Telle n’est pas la lecture de Dante, et loin de dénoncer l’absurdité des dogmes et du dogmatisme religieux, Dante entérine la ségrégation entre stricte orthodoxie et paganisme.

 Avec le recul historique, le lecteur anticipe les dérives qui conduiront à convertir de force les âmes récalcitrantes pour mieux assurer leur salut, quitte à devoir les passer par les armes !

Minos
Bienvenue en Enfer:

 Minos distribue à chacun le sort qui lui revient en fonction de ses dispositions intérieures (tendances vitales) et  de son opiniâtreté dans le mal.

Dans les premiers cercles se lamentent les incontinents de toutes sortes incapables de se contrôler. Dans les cercles inférieurs de la cité de Dité gisent tous ceux qui ont péché par malice. Ils disposaient d’assez de volonté pour bien agir mais ils ont délibérément mis leur intelligence au service de leur passion. Dans les derniers cercles se tordent ceux qui ont péché par bestialité et monstruosité.

 

La tornade des amants Deuxième cercle des Enfers :  les Luxurieux (Chant V)

Là, pris dans la tempête infernale de leurs sentiments et regrets, se lamentent tous ceux qui ont abandonné leur raison aux tourments de leurs appétits charnels

Suit une succession de portraits :

Sémiramis, reine mythique des royaumes orientaux (Chaldée Assyrie)

«au vice de luxure elle fut si rouée
qu’elle fit dans sa loi la licence licite,
afin d’ôter le blâme où elle était conduite. »

 Elle passe en effet pour avoir autoriser l’inceste en son royaume.

Didon, reine de Carthage, « qui se tua par amour » lorsqu’elle fut abandonnée d’Enée après avoir elle-même trahi la promesse de fidélité qu’elle avait faite à son époux défunt Sichée ;

Cléopâtre, reine d’Egypte, maîtresse de César puis d’Antoine ;

Hélène, responsable de la guerre de Troie ;

Achille, piégé par son amour pour Polyxène ;

Francesca da Rimini tuée par son Mari dans les bras de son amant, frère de celui-c ;

Et Lancelot le preux chevalier éperdu d’amour pour l’épouse de son Roi.

Troisième cercle des Enfers : Les Gourmands (Chants VI)

Cerbère Les trois gueules de Cerbère aboient dans une pluie noire et glaciale qui répand partout sa boue.

Virgile trompe la furie de la bête en lui lançant à pleines mains des poignées de terre « Tel un chien aboyant se calme quand il a sa pâtée sous la dent, car il s’acharne et s’évertue à la dévorer » de même, Cerbère se tait et laisse Dante interroger Ciacco, un ses concitoyens,

sur les désordres que l’appétit provoque dans Florence

«  Ta ville est pleine d’envie au point que le sac en déborde »

Quatrième cercle : Avares et Prodigues (chant VII)

Pluton en colèreEnfermés chacun dans leurs excès  Avares et Prodigues se cognent et s’essoufflent. Leur démesure les condamne à ne pouvoir avancer ; l’énergie de leur trépidation ne produit rien ; leur attitude est vaine. 

« mal donner et mal tenir leur a ôté
le beau séjour et mis en cette échauffourée… »
« Pourquoi tiens-tu ? »«  Pourquoi lâches-tu ?»

Dans le même chant, Dante décline une conception providentielle de la fortune :  ses revers sont des chances puisqu’ils nous apprennent davantage la mesure (ligne 60)

« Ainsi voit-on souvent les hommes changer d’état …ligne90
« Ainsi un peuple règne et un autre languit
Suivant la décision de cette intelligence
qui reste cachée comme serpent dans l’herbe »

Les colériques en train de se battre Cinquième cercle : les coléreux (chant V)

Leur sort est de croupir immergés dans les eaux boueuses du Styx , tel Filoppo Argenti

« Combien se prennent là haut pour de grands rois
qui seront ici comme porcs dans l’ordure,
laissant de soi un horrible mépris. »
Apres les mille démons, les trois furies gardent les remparts de Dité derrière lesquels percent les trois derniers cercles de L’Enfer (Chant IX)

La porte de Dité

Au sommet de la tour enflammée  apparaissent les trois furies aux formes et gestes lascifs. Elles arborent pour cheveux des serpents. Ce sont les Erinnyes : la première Mégère, la seconde, Alecto, la troisième Tisiphon, elles appellent Méduse la plus jeune des filles de Gorgone pour mieux s’opposer à la présence de Virgile. 

« Déjà venait par les terribles eaux
le fracas de son plein d’épouvante »
quand un messager du ciel qui traversait le Styx à pied sec fait fuir les furies. Vigile et Dante pénètrent alors dans la citadelle désolée. Partout se chevauchent des tombeaux aux couvercles défaits d’où s’élèvent les plaintes des hérétiques.

Sixième cercle de l’Enfer : Les Hérétiques couchés dans des tombes brûlantes (Chant X et XI)

Dante converse avec Farinata degli Uberti qui était un chef des Gibelins alors que les ancètres de Dante  s'étaient ralliés aux GuelfesDante condamne comme hérétiques tous les hommes assez présomptueux pour faire de leur pensée et de leur volonté propres la mesure de toute chose.

L’esprit de parti est dénoncé dans le personnage de Farinata degli Uberti qui aima passionnément sa patrie mais ne laissa dans son sillage que haine et esprit de vengeance. Sans la Grâce divine, sans la charité, la volonté verse dans des excès tyranniques.

A la fin du XI chant Virgile explique à Dante l’ordonnance de l’enfer selon l’échelle des maux pensée par Aristote

 

Les divisions du mal

Le mal est dans l’injustice

On peut être injuste

par fraude

envers celui qui a accordé sa confiance

traître

envers celui qui n’a pas accordé sa confiance

Hypocrite

Sorcier

Faussaire

Tricheur

par force

envers autrui et ses biens

Assassin

Voleur (pillard)

envers soi-même

suicide

dissipation

mélancolie

envers Dieu

blasphème

sodomie

usure

(cliquez pour plus d’infos)

Le mal est dans l’injustice mais on peut être injuste par l’usage de la force ou par l’usage de la fraude. La fraude étant le mal propre à l’homme (être doté d’intelligence par Dieu) les fraudeurs sont plus profondément ancrés dans le mal que les simples violents surtout quand les fraudeurs rompent les liens de la confiance et trompent non un simple étranger mais un proche, un ami.

Quant aux violents, il convient de les répartir en trois espèces puisque l’on peut faire violence à son prochain, à soi-même, à Dieu.

Le Minotaure

Septième cercle des enfers où sont punies toutes les sortes de violents

D’abord dans le premier giron tous ceux qui violentèrent leur prochain, (chant XII).

 Cette région de l’enfer est placée sous l’enseigne du Minotaure qui symbolise, avec les centaures, le triomphe de la bestialité sur la nature raisonnable de l’homme.

 Une rivière de sang bouillant dévore ceux qui ont nui aux autres par violence : les sanguinaires paient leur crime en étant eux-mêmes noyés par ce bain de sang en ébullition. Des centaures armés d’arcs veillent au supplice et décochent leurs flèches contre ceux qui veulent fuir la sentence.

 Dans cet enfer les violents tourmentent les violents. Dante y croise des empereurs défunts : Alexandre ; Denys, tyran de Sicile ; Attila ; Pyrrhus et Sextus mais aussi des tyrans contemporains comme Azzolino III, tyran des Marches, gibelin qui massacra un grand nombre de Padouans.

 

Les Harpies et les suicidés

Septième cercle, deuxième giron : les violents contre eux-mêmes (chant XIII)

« Il est injuste d’avoir ce qu’on rejette ». Les suicidés s’étant volontairement arrachés à leur corps, leur âme est condamnée à germer comme une plante au hasard des vents, exposée sans défense aux becs des Harpies qui se repaissent de leurs feuilles. Pour Dante, aucune disgrâce ne peut justifier qu’une créature renonce à la vie, don du Créateur. Dante compatit au récit de Pier delle Vigne, ministre de Frédéric II injustement accusé de trahison, emprisonné et mutilé, mais contrairement à la sagesse grecque, Dante ne reconnaît aucune légitimité au suicide.

 Dans la forêt des suicidés, Dante et Virgile croisent deux formes humaines qui fuient devant eux, arrachant tout sur leur passage et brutalisant ainsi elles-mêmes leur chair jusqu’à ce que des chiennes faméliques les rejoignent et les dévorent. Tel est le châtiment de ceux qui ont péché contre eux-mêmes par dissipation.

 Septième cercle, troisième giron : les violents contre Dieu et contre la nature

 Dans l’atmosphère étouffante d’un désert de sable que couvre une pluie de flammes se lamentent les Blasphémateurs (chant XIV)

Bruneto Latini et ses compagnonsSodomie et Tabou (Chant XV)

Les chants XV et XVI sont plus équivoques : en apparence, ils transcrivent des conversations courtoises  avec des formes humaines qui, avant de porter les stigmates de leur condamnation divine (corps atrocement brûlés), étaient de grands noms de la diplomatie florentine. La morale de ces deux chants apparaît peut-être dans les derniers vers(124-126)

« En face du vrai qui a visage de mensonge

L’homme doit fermer la bouche autant qu’il peut

car sans avoir de faute il peut se faire honte »

Est-ce à dire que dans l’esprit de Dante, ceux qu’il appelle les «  sodomites » sont d’autant plus dangereux et mauvais qu’ils sont plus affables et présentent meilleure figure ?  Faut-il frapper les homosexuels d’ostracisme pour s’épargner « la honte » qu’il y aurait à les côtoyer ?

Brunetto Latini, Francesco d’Accorso ,Guido Guerra, Tegghiaio Aldobrandi sont des hommes de valeur et de jugement qui furent des compagnons du parti Guelfe.

Bruneto Latini  fut ambassadeur des Guelfes auprès du roi de Castille. A la nouvelle de la défaite de Montaperti. Il reste en exil en France. Il rédige une Encyclopédie en prose française ( Le trésor)  qu’il publie de retour à Florence ; il est souvent présenté comme le grand divulgateur de la culture laïque (Jacqueline Risset).

L’anathème sur la sodomie est une constante de la littérature religieuse du Moyen-âge qui ne conçoit et n’autorise l’acte amoureux que dans la perspective de la reproduction. Les joies de l’érotisme y sont vilipendées comme viles concupiscences (voir à ce propos le travail de Michel Foucault dénonçant les mécanismes de la déculpabilisation de l’éros en Occident).

Geryon porte Dante et Virgile dans les profondeurs de Malefosse

Les violents contre l’art : les usuriers (chant XVII)

Dante descend seul dans la fausse des usuriers : chacun porte piteusement à son cou les armoiries de son clan.

Puis sur le dos du monstre Géryon, Dante et Vigile s’enfoncent vers d’autres noirceurs. Géryon est un monstre composite : « sa face est celle d’un homme juste tant elle avait l’apparence bénigne » mais tout le corps est un assemblage de bestialités diverses: deux pattes velues de félin, un corps souple et retors de serpent, une queue venimeuse de scorpion. Cet être mixte sait composer toutes les natures et tous les visages pour mieux tromper. 

les papes simoniaques ( Nicolas III attend Boniface VIII) Le Huitième cercle (à partir du Chant XVIII)

Celui des fraudeurs est formé d’un puits profond divisé en dix bolges  au dessus d’eux, chacun des ponts convergent vers le puits central.

Premier bolge, les séducteurs et ruffians,

Dante y croise Jason qui par ruse déroba la toison aux Colchidiens en séduisant Médée, la fille du roi pour la délaisser ensuite ; Dante y reconnaît aussi des contemporains comme Vénédico Caccianemico,  personnage influent des Guelfes de Bologne qui prostitua sa propre sœur Ghisolabella pour complaire au Marquis de Ferrare.

Deuxième bolge : les flatteurs plongés dans un fleuve de fiente humaine

Troisième bolge : Dénonciation virulente de la corruption vénale de la papauté

Il s’agit de la fosse des simoniaques c’est-à-dire toutes les hautes dignités ecclésiastiques qui ont détourné à leur profit les biens de L’Eglise et monnayé les biens spirituels. Pour avoir inversé l’ordre moral des valeurs, ils sont suspendus la tête en bas dans un puits de feu en attendant d’y être totalement enfoncés par le pape suivant.

 Le pape Nicolas III croit ainsi entendre l’arrivée du Pape BonifaceVIII (qui réclame pour l’Eglise l’exemption fiscale et la suzeraineté temporelle).

La descente aux enfers est l’occasion de règlements de comptes politiques, Dante ayant subi de plein fouet les intrigues de Boniface.

Plus fondamentalement l’empereur Constantin en dotant l’Eglise de richesses matérielles y précipita malgré lui la cupidité, le thème sera repris dans l’une des scènes de métamorphose du Purgatoire : Rome s’y confond avec Babylone, ville de toutes les corruptions.

 Quatrième bolge : ceux qui ont trompé par de fausses divinations sont condamnés à marcher la tête tournée vers l’arrière ; ceux qui prétendaient connaître le futur par la magie marchent à l’aveugle (Chant XX).

Cinquième bolge : réservé à tous ceux qui utilisent les fonds publics à leur profit  (Chant XXI et XXII)

Trafiquants, prévaricateurs, concussionnaires, sont jetés dans un lac de poix bouillante et tourmentés par les diables

les hypocritesSixième bolge : les hypocrites (Chant XXIII)

Vêtus de capes dorées et doublées de plomb, ils portent ce manteau écrasant pour l’éternité. En présentant les Hypocrites sous les apparences de moines en procession, Dante fait allusion aux religieux placés à la tête de Florence en 1266 par les Gibelins pour apaiser le peuple, mais qui furent tout aussi corruptibles que les laïcs.

Septième bolge : les voleurs des choses de Dieu

 Ils sont mordus par des serpents puis métamorphosés en serpents avant d’être réduits en cendre et finalement ramenés à la vie pour être éternellement tourmentés. Dante croise Vanni Fucci qui pilla une sacristie à Pistoia et laissa accuser un innocent.

Huitième bolge : celle des conseillers perfides enveloppés de flammes. Dante et Virgile rencontrent Ulysse qui paie ici aussi bien la fraude du cheval de Troie que le goût de l’aventure qui le fit conseiller à ses hommes de pousser toujours plus avant l’exploration du monde alors que les devoirs familiaux leur commandaient de retrouver leur foyer. (Chant XXVI)

les schimatiques et les semeurs de discordeNeuvième bolge : fauteurs de Schismes et de Discordes. Ils reçoivent le châtiment qui leur convient en étant eux-mêmes physiquement déchirés. Mahomet est éventré et son disciple Ali voit « son visage fendu du menton à la houppe » jusqu’à ce que les plaies se referment ; alors revient l’ange qui les déchire à nouveau. Dante croise aussi Mosca Lambertini qui attisa les discordes entre Guelfes et Gibelins. Et Bertrand de Born qui sema la discorde entre Henri II et son fils

Dixième bolge : les faussaires, simulateurs, bonimenteurs, faux monnayeurs, falsificateurs de métaux, alchimistes.

 Ils ont le corps couvert de gale et de lèpre.

Là encore Dante suit la stricte orthodoxie de son époque et condamne comme forcement mauvaise toutes les expériences et recherches qui sortent des voies canoniques de la science officielle.

Voir l’analyse du cas Faust

: Le puits des Géants (Chant XXX )

Nemrod qui fut à l’origine du projet de Babel y paie son excès : étant lui-même transformé en tour et réduit à n’articuler qu’un galimatias incompréhensible.Un autre géant, Ephialte, est enchaîné pour s’être s’enhardit contre Jupiter. «  jamais plus il ne meut le bras qu’il a brandi»

Seul Antée est libre de ses mouvements, car il ne prit pas parti contre les Olympiens.

Le Géant est prié par Virgile de le déposer avec Dante au fond du neuvième cercle de l’enfer.

Neuvième cercle regroupe tous les types de traîtrise (chant XXXII et XXXIII)

les frères Albertini qui se sont entretués sont figés dans la glace Les traîtres à leurs parents, à leur patrie et à leur parti ;Les traîtres à leurs hôtes ; les traîtres envers leur bienfaiteur et envers les autorités spirituelles.

Parmi les traîtres à leur patrie et parti, Ganelon,  mais aussi Bocca degli Abbati dont la trahison causa la défaite des guelfes à la bataille de Montaperti (2septembre 1260) et Ugolin da Gherarpesca, ce tyran s’était approprié le pouvoir par trahison et fut lui-même trahi par l’archevêque Roger (Ruggeri) qui le laissa mourir de faim avec ses fils ; après leur mort, Ugolin finit par se repaître de leur dépouille. Pour l’avoir réduit à cette extrémité, Roger est condamné pour l’éternité à avoir son cerveau dévoré par Ugolin.

Mais, au plus profond de l’enfer sont châtiés par Lucifer lui-même les trois plus grandes traîtres de l’Histoire de l’Eglise et de l’Etat : Judas, Brutus, Cassius ; Ainsi le mal sert-il au mal et « tout  finit bien » dans cette vaste comédie qu’est le monde des passions.

Etrange histoire :

Diables se battant entre euxDans le monde infernal de ceux qui se sont privés de Dieu, son nom est pourtant tout puissant. L’autorité divine sert de viatique à nos deux voyageurs ;l’enfer est dans l’ordre universel, les sages païens ne sont pas conviés aux joies du paradis mais les monstres révoltés contre Jupiter sont sanctionnés pendant que ceux qui lui furent cléments servent les desseins de l’envoyé de Dieu… OEcuménisme de bon aloi chez ce poète chrétien  nourri de littérature grecque et romaine !